2023-2024, une rentrée pas comme les autres à l’ISBAT
par Haithem Jemaiel
Maître Assistant Universitaire à l’ISBAT
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Par cette belle journée de printemps, les vas et viens se font alertes. A gauche et à droite, partout, des enseignants, des étudiants, des administratifs, des ouvriers, semblent chacun s’atteler à son labeur. Mais quelque part, cette atmosphère de chantier, un peu comme des préparatifs de quelque fête foraine, laisse trahir le sentiment que tout ce beau monde se mobilise pour une même besogne. En effet, les bavardages inaccoutumés entre autant de corps hétéroclites, expliquent cette impression de communion exceptionnelle ; et de surcroit, dégagent une atmosphère fort joviale. Cela s’en faut bien, car ce vingt-trois avril n’est pas anodin : c’est le centième depuis l’existence de notre institution, et c’est ce mardi même qui est élu pour le démarrage des journées "ISBAT-EN-NOUS", spécialement programmées cette année en hommage au centenaire de notre école (1923), puis institut (1973), des Beaux-Arts de Tunis. De ces mouvements qui se trament sur tout l’espace de l’institut, une inertie particulière nous attire vers la gauche, juste après le portail d’entrée, où on voit migrer nombre de ces pas, lestés par des ouvrages visuels de toutes formes et formats. Un nouvel écriteau en lettres ajourées, que des ouvriers sont en train d’accrocher, nous éclaire sur le secret de ces processions : on y lit "La galerie ".
Il s’agit ici, on peut le dire sans risquer l’exagération, de l’un des volets des plus importants parmi la riche programmation des journées ISBAT-EN-NOUS: l’inauguration d’un espace d’exposition. Oui, on peut bien s’étonner qu’une école d’art célèbre la création d’un tel espace lors de son centième anniversaire, mais ça serait s’y méprendre car l’ISBAT avait toujours eu une galerie. Ce qui étonne plutôt, c’est que la grande salle d’expo, qu’on avait connu lors de nos années estudiantines, malheureusement disparue vers la fin des années 2000, lors de travaux de réaménagement, n’avait apparemment pas assez d’intérêt aux yeux des concepteurs pour qu’on lui élise une place dans les nouveaux locaux. Une renaissance donc, cette galerie qui, à l’endroit de deux salles d’informatique désaffectées, et transformées pendant de longues années en entrepôt de fortune, redote notre institut d’un espace sensé être, en tout bon sens, le cœur battant de toute institution dévolue aux arts visuels.
A l’honneur de cette inauguration, une exposition, à laquelle j’ai été invité par Mme. Rym Abid - alors chef du département Design, et l’une des porteurs des plus enthousiastes du projet - afin d’en arranger les "accords". L’idée était d’y montrer une sélection de travaux et d’œuvres d’enseignants de l’école. Et entre plasticiens, designers de toutes disciplines, avec leurs peintures, dessins, sculptures, objets, travaux anciens et nouveaux, la tâche ne fut pas mince. Heureusement épaulé par l’œil esthète de Mouna Jemal Siala, qui compte d’ailleurs parmi les participants plasticiens de carrure, on avait trouvé à mon humble estime, la juste mesurepour faire cohabiter, dans la contrainte de l’exiguïté relative de l’espace, les "monumentales" œuvres de nos illustres artistes plasticiens qui sont feu Boujemaa Belaifa, Imed Jemaiel, Adnen Hadj Sassi, Faycel Mejri, Najet Dhahbi, Saber Bahri, Rachida Ben Abda et Darine Trigui. Ainsi que nos pétillants designers, dont on compte Anis Ben Ammar, Abdelhamid Hemdani, Aida Mhadhbi (dont on découvre les formidables peintures), Samia Belkhodja, Imen Elloumi, Malek Khalfallah, Ines Drira, Mariem Brik, Mehdy Boubaker, Nabil Zaghdoudi, Omar Hadded, sabrine Rahmeni, Salma ben Salah et Senda Drissi.
Il est évident qu’aux vues de la valeur de certaines œuvres y ayant été exposés, ces murs n’ont désormais rien à envier aux cimaises des plus importantes galeries du pays. C’est autant à l’honneur de cette institution séculaire, qu’un tribut de reconnaissance dont ces artistes, quels qu’en soient les origines, témoignent vis-à-vis de "l’école mère".
Par ailleurs, ce qu’on ne peut manquer de dire en corollaire de cette exposition, qui est tout à la hauteur de l’occasion, c’est la portée symbolique et l’importance pédagogique qu’elle revêt. En effet, si on a jusque-là utilisé indistinctement les termes "espace d’exposition" et "galerie", c’est qu’on ne voit aucune objection à aller outre les nuances, pourtant pas négligeables. Personnellement, j’accueille vivement l’appellation galerie, en ce qu’elle ambitionne une approche soutenue de la pratique de l’exposition. Ce mot n’invoque-t-il pas en effet les idées de commissariat, de public, de médiation et pourquoi pas de marché ? Envisagée de cette manière, la salle, ou l’espace d’exposition, devient une fenêtre ouverte sur l’extérieur. C’est le gage d’un possible décloisonnement de l’enceinte universitaire, qu’on trouve par ailleurs fort salutaire pour la mission pédagogique qui nous préoccupe en premier lieu. Effectivement, cruciale est la différence entre un étudiant qui travaille sur un projet ayant pour seul horizon les murs de sa salle de classe et pour unique finalité l’appréciation de son encadrant ; et celui qui se sait avoir probablement la chance d’être élu pour être présenté à un plus large public. Cette projection ne peut que conférer à l’acte créateur plus de profondeur, à ouvrir le champ des possibles, et fournir à la volonté une motivation sans pareil.
Pour conclure, disons qu’aux antipodes de l’idée d’une école d’art comme sanctuaire, où l’alchimie de la créativité mijoterait dans le secret d’un concon, nous escomptons une porosité des frontières, qui laissent migrer les imaginaires et les choses au-delà de leurs territoires. Usons en fin de compte d’une heureuse homophonie entre "pore" au "port", afin d’ajouter à toutes les heureuses vertus de l’extraversion, l’idée du débarcadère, où des vecteurs entrants pourraient aussi être un facteur enrichissant. D’ailleurs l’exposition inaugurale en question, n’en est-elle pas une démonstration des plus éloquentes.